Sitabaomba : le choc cinématographique de Lova Nantenaina.
- Rédaction
- Cinéma, Culture261, Madagascar
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Dans un film où les genres se croisent, Lova Nantenaina livre un documentaire poignant sur la disparité de notre vision du progrès et du développement. Dans son dernier film long métrage intitulé Sitabaomba, chez les zébus francophones (104min, 2024), le cinéaste reste fidèle à un cinéma à hauteur d’homme, raconté par un Malgache et destiné aux Malgaches. Ce film aborde également une question épineuse : l’accaparement des terres arables.
Une histoire vieille comme la Terre, certes, mais dans la Grande Île, l’attachement des paysans à leur terre et les convoitises qu’elle suscite prennent souvent une tournure inattendue. Ce film rend hommage aux paysans de Sitabaomba (Soute-à-bombes), un petit village en périphérie d’Antananarivo à quelques minutes de l’aéroport d’Ivato, à travers l’histoire de Ly et de sa famille. Dès le début du film, Lova Nantenaina nous plonge avec douceur dans cette vie paysanne, où le Kabary rythme le jour et le silence caresse la nuit. Ici, seules les traditions sont reines et les us et coutumes lient les Hommes.
Mais cette quiétude est menacée par les engins de l’entreprise chinoise mandatée par l’État pour construire une autoroute en vue du sommet de la Francophonie de 2016. Les tractopelles remplacent les zébus, piétinant et détruisant les cultures, tandis que les camions des hauts-gradés et leurs remblayeurs, profitant de l’opacité de l’information foncière, perturbent le sommeil des paysans qui ne comprennent pas la cacophonie qui envahit soudainement leur village. Ils se retrouvent au beau milieu d’un croisement où une plaque indiquant « Projet présidentiel » promet le développement dans un pays classé au 178e rang sur l’indice du développement humain. Une résistance s’organise alors face à la spéculation qui menace leurs rizières. Le film prend ainsi une dimension politique.
Pour se faire, Lova Nantenaina s’est appuyé sur son statut d’artiste. Il a ouvert ainsi son film à l’animation, au théâtre et à la marionnette. De nombreux artistes malgaches ont contribué ou font leur apparition dans ce film, à l’instar de Gégé Rasamoely, illustre comédien issu de la radio et des fictions malgaches, du peintre et artiste plasticien Temandrota, de la star inébranlable Bekoto du groupe Mahaleo, ainsi que Christiane Ramanantsoa, Fela Razafiarison et Gad Bensalem de l’emblématique Compagnie Miangaly.
Lova Nantenaina a également fait appel au talent d’oratrice de la comédienne franco-ivoirienne Claudia Tagbo. À sa manière, elle a posé sa voix dans un kabary, et cela confère à l’œuvre une certaine identité panafricaine. Une fois de plus, le réalisateur de Ady Gasy a donné au kabary une autre dimension. C’est même devenu sa signature cinématographique.
Immersion et émotion
Avec un mélange d’humour huilé à l’ironie et une colère adoucie par l’autodérision, ce film a un caractère bien malgache. Le spectateur s’identifie et s’incruste facilement au cœur de cette famille. Avec son cinéma à hauteur d’homme, les caméos et interventions étonnantes et amusantes de l’auteur, on découvre le quotidien du village et la lutte que les habitants mènent, les trahisons, les moments suspendus en attendant le verdict du tribunal. A côté, nous les voyons s’adonner à leurs tâches journalières dans les champs, là où Ly donne des ordres à ses servants zébus en Français, une pratique héritée des temps de la colonisation. (D’ailleurs, le titre du film en fait référence. NDLR) Puis, nous sommes invités au mariage de l’aînée de Ly à l’arrivée de son premier petit-enfant. Plus le film avance, plus nous nous sentons proches de ces personnages comme si nous les connaissions depuis toujours. Cette proximité engendre une certaine sympathie envers cette famille, en particulier envers Ly et son engagement, ses rêves, ses projets, sa lutte pour défendre ses terres et son mode de vie plus proche de la nature. Nous nous sentons ainsi comme si leurs malheurs et leurs bonheurs nous affectent également.
La réussite du dispositif cinématographique proposé par le réalisateur repose également sur les sons hors-champ en accord avec des images expressives. Comme dans le kabary, les sous-entendus et les non-dits poussent le spectateur à la réflexion, et les propos virulents suscitent souvent des réactions. De même, Lova Nantenaina a su mettre en images ces propos sans avoir à prononcer une phrase, ni un mot.
Chez les Zébus francophones est sans doute une œuvre qui va faire l’effet d’une bombe. L’engagement personnel de l’auteur de suivre pendant 7 ans l’évolution de la vie de ce village, à contribuer à sa vie communautaire est sûrement l’ingrédient qui a permis la réalisation d’un film aussi riche en émotion. Ce film démontre son expérience et sa maîtrise, voire la maturité de son genre de cinéma, à la fois documentaire de création et film factuel. On apprécie particulièrement l’ouverture artistique et l’audace de proposer une autre manière de raconter l’histoire.
Sorti en septembre 2023, après avoir été primé dans les festivals internationaux, le film sera présenté en première nationale à Paris ce 23 octobre 2024, et à la réunion ce 24 octobre 2024. En tant que film malgache, il a été projeté exceptionnellement lors du festival ZAMA à Paris. Il sera également disponible prochainement sur les petits écrans via TV5Monde et en streaming sur TV5Monde+ Afrique d’ici 2026 et vers 2027 en France.