Tabataba de Raymond Rajaonarivelo, 30 ans après.
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- Analyse, Culture261, Drame, Madagascar, Raymond Rajaonarivelo, Tabataba
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L’un des événements qui vont marquer cette année 2018 sera le 30e anniversaire de la sortie du film Tabataba (Long métrage, 1988) de Raymond Rajaonarivelo. C’est un film qui attire jusqu’aujourd’hui l’intérêt des cinéastes, critiques, cinéphiles et historiens. Cet intérêt n’a pas fléchi depuis sa sortie en salle en 1988. Mais 30 années plus tard, avec le recul, il serait encore plus pertinent de refaire une analyse du film avec un regard culturel de notre temps.
Tabataba : Film historique, film engagé ?
Tabataba est un film qui met en scène les événements qui se sont passés à la veille de la contestation de 1947 à Madagascar. Les scènes se déroulent dans un petit village au cœur de la forêt de la côte sud est de l’île. C’est une région berceau de l’insurrection contre le pouvoir colonial, mais oubliée à chaque commémoration. Le film est ainsi un devoir de mémoire qui voudrait laisser une empreinte de cette frange de la rébellion oubliée.
Le cinéaste Raymond Rajaonarivelo habitait la France à l’époque du tournage de ce film, où il a poursuivi ses études en cinéma. Tabataba est son deuxième film après Izaho valiha, ianao lokanga (Court métrage , 1974). C’était également le premier film réalisé par un cinéaste malgache sur ce sujet brulant qu’est l’oppression des nationalistes malgaches par les colons français. Cet engagement a valu au film une censure de la part du pouvoir socialiste à sa sortie.
Basé sur un contexte historique réel, le film Tabataba met en scène Lehidy, un légionnaire malgache de la deuxième guerre mondiale qui s’est battu auprès de la France et qui a vu la faiblesse de celle-ci face aux nazis. De retour à son village natal, il est venu avec des arguments pour convaincre les hommes du village de se regrouper et de constituer une rébellion. Ce bataillon part finalement au front avec le très peu de moyens qu’ils ont à bord. L’échec est évident.
D’autant plus que, de l’autre côté, un émissaire du MDRM, le parti politique regroupant les élites malgaches, arrive au village et propose la voie démocratique pour se débarrasser des oppresseurs. Son idée choque. Deux idées contradictoires se rencontrent, deux idées qui contrastent aussi avec la culture des villageois qui repose sur l’autorité et la sagesse de l’aînée du village, Bakanga.
A voir aussi : « Des visages et des autorités », Expo de Rijasolo.
Références culturelles dans Tabataba :
Tabataba est un chef d’œuvre cinématographique. C’est un film qui donne à son public le temps d’observer l’ensemble de ses plans. Par les mouvements en panoramique à une vitesse égale, Tabataba reflète cette identité malgache de peuple moramora, doux et constant. Ce caractère est bien mis en évidence dans le film qui, malgré le contexte de guerre pesant qu’il évoque, ne montre aucune scène de violence. Au contraire, l’auteur du film a préféré mettre en avant la beauté de la nature particulière de cette région. Cette richesse embellit le village et ses habitants. Cette guerre, elle est hors champs, comme le tourment de cette population qui ne le montre pas mais préfère le murmurer et l’enfouir.
Ce film n’isole pas l’homme mais il le met dans son environnement écologique, économique, social, politique et culturel. Au cours du film, on constate qu’à chaque tournant de la vie de ce village, les villageois font appel à leur héritage culturel. L’arrivée d’un politicien conduit les villageois à lui offrir une offrande, le départ à la guerre est précédé d’un rituel de bénédiction et d’un sacrifice, la disparition des corps des combattants mène les femmes du village à observer le deuil avec tous ses rituels. Ce sont des richesses culturelles que la colonisation n’a pas pu effacer. En revanche, ce tissu culturel n’est pas imperméable à l’évolution technologique telle que l’arrivée de la musique étrangère, symbolisée dans le film par un tourne-disque, ou encore ce train imposant dès la première image du film, symbole du rapprochement et de la réduction de l’espace.
Tabataba 2018 :
À sa sortie, le film, comme on l’a déjà évoqué, était censuré par le gouvernement socialiste de la 2e république. Il était l’objet de la critique comme étant un film à la gloire des oppresseurs.
Aujourd’hui, avec un regard plus ouvert sur le monde, Tabataba est considéré comme un film qui parle du malgache. Il place le spectateur face à l’histoire et le laisse le libre jugement. Mais le film est aussi d’actualité, surtout sur le plan culturel. Avec les moyens du bord, armée de son héritage et de ses caractères typiques, la culture malgache part à la reconquête de son territoire. Dans Tabataba, Lehidy clame « Cette guerre est la guerre de tous les malgaches ». Cet appel est confronté au progrès technologique imposé par l’influence étrangère jusqu’aux pas des portes des autorités, piliers de toute une nation.
Raymond finit son film avec une note d’espoir en passant le fanion au jeune Solo, pas aussi naïf qu’il n’en a l’air. C’est une image à laquelle il tient beaucoup car Solo représente le futur. A Raymond de confier : « Cette histoire (de conflit pour la liberté) lui a volé son enfance. Solo voit tout ce qui se passe autour de lui et réfléchit peut-être à une autre solution au conflit. Pour peut-être faire les choses plus intelligemment.»