Pour inaugurer cette chronique, il fallait que je fasse un choix. Dans ma bibliothèque – réelle ou virtuelle – les auteurs sont nombreux à truster le haut du classement. J’aurais pu parler de Fondation saga magistral d’Isaac Assimov, qui tient une place particulière dans mon panthéon littéraire ou de la trilogie Millénium de l’énigmatique Stieg Larson (je ne considère par la suite post-mortem de l’œuvre, mais c’est une autre histoire), ou encore le passionnant La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement de Svetlana Aleksievitch. Mais finalement, j’ai opté pour « la préférence nationale » et la simplicité : Vakivakim-piainana4 d’Iharilanto Patrick Andriamangatiana (IPA). Malgré sa date de sortie (1995), le livre n’a pas pris une ride.
Monument de la littérature
Le titre en lui-même renvoie à une dualité : « vakivaky » peut se traduire par brisures ou éclats. Il peut renvoyer également au sens d’une traversée, dans le sens de l’aventure. D’emblée, l’auteur nous met devant ce double sens qui résume le fil conducteur du livre qui peut se lire par les brisures émaillant notre existence. IPA cultive sans cesse les dualités et les oppositions (« Tsikakalakalam-bola » VS « tsikalakalam-pihavanana »), au fil des 75 pages, pour l’édition que j’ai lue. Le rythme « binaire » est entretenu et magnifiquement maintenu tout au long du livre. IPA cultive l’art de la contradiction avec brio tout en gardant les éléments courants d’une intrigue finalement très classique : « Dans ma cambrousse, je rêvais sans cesse de cette Ville des Mille. Aujourd’hui, ce sont des milliers de tracasseries que m’offre Tana » (¨P.18 Traduction par moi-même)
Violence banale
Cette œuvre est un monument de la littérature contemporain malgache. Il a gagné le premier prix de la prestigieuse association des poètes et des écrivains HAVATSA/UPEM en 1995 et il est même inscrit dans le programme scolaire. Pourquoi une telle consécration ? Vakivakim-piainana est d’abord une histoire magnifique. À travers le prisme du héros – qui, au bout du compte, est un anti-héros – l’auteur brosse tous les maux qui rongent la société malgache. Bien évidemment, il s’attache à dessiner le triptyque habituellement fâcheux qui a cours sous nos vertes contrées : la pauvreté, les difficultés à trouver un travail décent et la violence « banale » dans la société et dans les foyers malgaches. L’auteur les décrit sans mièvrerie ni misérabilisme. À ce constat – ou constante – amer, IPA y oppose une volonté tenace de (sur)vivre, malgré le fait que l’on ne gagne pas à tous les coups. Au-delà d’une leçon de courage, IPA nous brosse une société tananarivienne sans concession. Certes, la violence physique est moins présente qu’actuellement, mais celle des propos est omniprésente.
Tragédie
La trame de Vakivakim-piainana est simple, sans être simpliste. Nous suivons l’aventure humaine de Tsiry, un adolescent que l’on pourrait qualifier de lambda. Malgré une volonté très forte, il décroche de l’université et se retrouve « homme à tout faire » dans la maison de sa sœur. Sous les coups de butoir de son beau-frère, Ramily (militaire), il finira par céder et par partir. C’est le début d’une aventure humaine avec comme compagnons Mino et Meja sur sa route. À travers cette tragédie humaine, IPA nous offre une galerie de personnages forts : Tsiry, le naïf, Mino et Meja : les battantes, Aziz : le richard et pragmatique patron Karana, Ramily : le brutal, la petite Vony : la gentille. Mise à part le personnage de Aziz, qui est trop caricatural à mon goût, le tableau résume parfaitement la société malgache. Pour le style
d’écriture, c’est un malgache dynamique qui est usité avec des mots piochés dans le
vocabulaire riche. Le rythme de narration est tantôt rapide tantôt lent. L’auteur nous emmène
dans les lacis de la psychologie humaine à travers des dialogues édifiants. Ce style narratif à
la première personne, sied bien au travail d’introspection intimiste mené par l’auteur. Le livre
est bien ciselé avec ses chapitres très bien agencés et débouche sur une… surprise (pas de
« spoil »).
Œuvre incisive
Avec ce roman, IPA a fait mouche. D’ailleurs, le jeune auteur, qu’il était à l’époque, a raflé le
prix. Mais sa plus grande victoire est sans doute la reconnaissance des milliers d’étudiants
malgaches depuis près de 2 générations. Je recommande la (re)lecture de cette œuvre
intemporelle. Bien évidemment, il faut un très bon niveau de malgache pour comprendre les
subtilités des jeux de mots et de la plume aérienne de IPA (j’aimerai bien traduire cette œuvre
monumentale d’ailleurs, un jour). Cette écriture au cordeau est accompagnée de
l’omniprésence de la vie et de la mort. Le livre nous transporte dans des combats permanents
et dans les dédales d’un Antananarivo déprimant… C’est toujours le cas, aussi bien pour les
réalités de la ville, pour la mentalité de certains que pour les affres de la pauvreté décrites par
IPA. C’est bien le pire dans l’histoire. Ce livre mériterait d’être réédité dans une qualité plus
acceptable. La version que j’ai lue, éditée en 2005, est d’une piètre facture.
Note : 4,5/5
Fiche de lecture :
Vakivakim-piainana :
– Auteur : Iharilanto Patrick Andriamangatiana (IPA)
– Editions : Faribolana IPA, Prima
– 75 pages
Ndlr : Dans cette chronique, Raoto essaiera de diversifier les genres qu’il abordera. Mais les choix
resteront complètement subjectifs.