Haute ville d’Antananarivo : un lieu de vie chargé de valeurs culturelles. (Art.2)

Si l’histoire et le développement de la ville d’ Antananarivo ont déjà fait l’objet de plusieurs recherches académiques, cette ville construite au début du XVIIe siècle sous le roi Andrianjaka fascine toujours les adeptes de la culture jusqu’à aujourd’hui. La ville d’Antananarivo se divise en général en trois zones : la ville basse, la ville intermédiaire et la ville haute. Avec le développement et l’extension de cette capitale de Madagascar, les autorités estiment qu’il est important de sauvegarder l’héritage culturel de la ville. Nous allons ainsi consacrer une séries d’articles concernant les valeurs historiques, les valeurs culturelles de cette partie de la ville. Nous allons également à la rencontre des habitants, d’artistes et des chercheurs qui vont nous parler de leur relation avec ce patrimoine. Pour cette deuxième partie, on a demander à la population environnante leur avis.. Le dossier Madagascar est en effet en cours de préparation pour l’inscription de la partie haute de la ville d’Antanaanribo à la liste des patrimoines de l’humanité de l’Unesco. 

Dimanche après-midi, notre quête d’informations pour ce dossier nous a amené à entrer à Manjakamiadana. À Ar500 le prix d’entrée pour les résidents et Ar10 000 pour les non-résidents, on peut dire que la visite est presque offerte. Tandis que nous traînons pour lire les plaques indicatives installées par l’Office régional du tourisme d’Analamanga, un jeune homme nous aborde et nous propose une visite guidée des lieux. Il s’appelle Éric et il est guide officiel du Rova.

Éric, comme une dizaine de jeunes qui attendent les visiteurs au portail du Palais de la Reine, est un guide touristique affilié à une association. Il habite le quartier d’Ankaditapaka dans la partie ouest du Palais. C’est en 1997 que sa famille a déménagé sur cette partie de la ville. Il a passé son enfance dans ce quartier, qui doit son nom au fossé servant autrefois de protection au palais. Pour lui, devenir un guide est un choix naturel quand on vit sur les hauteurs de la ville, juste au pied de ce palais en pierre, à contempler la vue imprenable sur Betsimitatatra, la grande plaine qui est devenue Antananarivo.

Le quartier d’Ankaditapaka dispose d’un point de vue imprenable sur la ville.

 

Un choix, certes, mais aussi une manière de valoriser ses connaissances de ce lieu historique. Pour devenir guides attitrés, lui et ses amis ont dû suivre des formations sur le métier. L’Institut national du tourisme et de l’hôtellerie (INTH) leur a fourni des séances de formation sur le tas pour qu’ils apprennent les langues, l’histoire de ces murs et espaces. Mais eux, ils connaissent tous les recoins de la haute ville. « Je n’ai jamais visité le Rova avant son incendie en 1996. C’est seulement en 2007, quand l’État a autorisé la visite au public que je l’ai découvert » confie notre guide. « Mais à travers les livres, les photos, j’ai pu l’admirer. Dans le quartier, il y a des vieilles personnes qui nous racontent la beauté de ces lieux. Malheureusement, il ne nous reste plus que ces murs, et on ne peut même pas les toucher.»

Pourtant, Éric garde espoir que ces lieux retrouveront leurs états initiaux. « La reconstruction avance petit à petit. En 2007 par exemple, les vitraux cassés de l’église d’Anatirova ont été remplacés. Seule une fenêtre porte ceux que William Pool a placés. Voir l’état délabré de ce lieu me désole un peu, mais je tente de raconter son histoire aux visiteurs pour qu’ils aient de la valeur à nos yeux. Malheureusement, l’incendie a emporté avec lui l’âme de ces lieux.»

L’inscription de ce bien à la liste des patrimoines de l’humanité de l’Unesco ne peut donc être que bénéfique pour notre jeune guide. « Cette inscription va augmenter sa visibilité, et il y aura plus de visiteurs, plus d’argent pour nous et pour l’État pour financer les travaux de réhabilitation » conclut-il.

En effet, l’incendie ravageur de 1996 est un événement marquant dans la relation de la population malgache et du monde entier avec ce palais et avec Antananarivo elle-même. Il y a ceux qui ont visité le « Rova » avant son incendie et qui ont gardé de ce lieu des souvenirs immenses. Et il y a ceux qui n’ont pas pu le faire, ou ceux qui sont nés après et qui ne le connaissent que pour ses murs. Mais à part ceux-là, il y a aussi les descendants des rois et des reines, ceux des « Andriana » qui pivotaient autour de la famille royale et il y a les gens qui travaillaient pour les reines. Beaucoup de ces personnes-là possèdent des propriétés sur cette partie de la ville, héritées de leurs ancêtres.

Car avant la conquête d’ Antananarivo par Andrianjaka vers la fin du XVIe siècle, cette colline qui culmine à 1483m s’appelait Anjalamanga. Elle était occupée par quelques communautés vazimba, dispersées dans une forêt qui leur fournissait ceux dont ils ont besoin. Au debut du XVIIe siècle, Andrianjaka, fils de Ralambo revendiquait que cette colline, surtout Ambatondrafandrana, était son héritage. La conquête se réalisa sans heurt direct.

Pour marquer son coup, et montrer sa détermination de quitter Alasora, Andrianjaka installe la capitale de son royaume à Antananarivo. Il y fait donc construire un palais. Il y installe aussi une garnison d’armée. Il ordonna à la population de s’y installer, tout en gardant loin de lui les autres chefs de fiefs, anciens propriétaires des lieux. L’organisation des habitations suivait un ordre bien précis selon la classe hiérarchique et la fonction de cette population. La distribution se faisait même auprès du roi et des reines. Désormais, la capitale s’étend d’Ambohimanoro dans le nord jusqu’à Ambohipotsy dans le sud. Le royaume dispose donc d’une capitale à la fois politique, sociale et économique.

La famille de Rondro, qui nous a accueillit chez elle, fait partie de celles qui ont reçu de la reine un terrain sur le flanc est de Manjakamiadana, juste au pied du palais. Son arrière-arrière-grand-mère était au service de la reine. Pour la remercier, cette dernière lui a offert un lopin de terre pour qu’elle puisse y construire une maison. Ses voisins sont composés de la famille des musiciens de la cour royale, c’est-à-dire les autres serviteurs de la reine.

À 70 ans, Rondro vit avec ses enfants, une de ses cousines et ses enfants et son frère cadet. « La première maison de nos ancêtres, qui vivaient sur ce lieu, a été détruite en 1982 suite à un orage. Elle était vraiment vieille. Elle fut construite avec des briques d’argiles et a tété couverte de tuiles » nous raconte-t-elle. « Nous avons alors dû construire une nouvelle maison, sur le même terrain. Heureusement que même si le pays a traversé plusieurs époques, nous avons pu garder notre héritage, sans lequel la famille serait déjà éparpillée.»

Beaucoup de la famille de Rondro habitent en effet sur la haute ville, tandis que d’autres ont dû acheter des terrains à Ambanidia ou Manakambahiny. « Nos ancêtres nous ont formellement interdits de vendre ces terres car elle sont sacrées. Mais avec l’agrandissement de la famille, nous avons dû trouver un arrangement entre nous. Nous sommes donc en quelque sorte les gardiens de la mémoire. »

Mais vivre sur la haute ville d’ Antananarivo a aussi ses inconvénients de nos jours. Un des problèmes auxquels cette population fait face est l’adduction d’eau potable. La commune urbaine d’ Antananarivo a mis en place des bornes fontaines alimentées par l’eau de la Jirama. Elle les a confiées aux Fokontany, qui assurent l’entretien et la gestion de ces sources. Avec les fréquentes coupures d’eau, l’approvisionnement est très insuffisant. Heureusement que quelques sources naturelles coulent encore et permettent à la population de compenser les manques. « Certaines de ces sources sont devenues des propriétés privées. L’une d’elle coule en effet juste à 100m de notre maison, mais la propriétaire du terrain l’a transformée en « Doany » et prétend que c’est une source sacrée. Nous savons pourtant que cette source n’a aucune vertu sacrée, mais elle l’utilise à des fins usurpatoires pour les touristes. Heureusement que d’autres sources naturelles sont restées publiques » se plaint notre septuagénaire, à écouter dans cet enregistrement audio :

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La famille de Rondro s’inquiète ainsi de ce projet de mettre la haute ville sous la protection de l’Unesco. « Certes, il n’y a plus rien dans ces bâtiments et les pierres et poussières n’ont aucune valeur, mais la mise en place de ce système de protection va augmenter le coût de la vie dans notre quartier. On remarque depuis quelques décennies l’arrivée massive d’étrangers, français, indiens, chinois qui achètent des terrains et construisent sur des lieux tabous. Ils ne respectent même pas les coutumes. Ils investissent dans des hôtels et restaurants, et ne se soucient même pas de la valeur culturelle et le poids historique de ces lieux.»

En tout cas, lors de notre rencontre avec cette population de la haute ville, nous avons pu rencontrer le chef du fokotany d’Ambohipotsy. Et lui de nous confier qu’il n’a pas encore informé et n’a pas encore eu une vraie discussion sur ce projet ministériel avec la population concernée. Il fait pourtant partie du comité en charge du recensement des patrimoines à inclure dans le dossier. L’objectif de son Fokotany est donc de pouvoir profiter de ce projet pour avoir une ristourne sur les visites touristiques. L’argent collecté sera consacré à l’embellissement du quartier et à la construction d’autres infrastructures pour le bien de la population de la haute ville.

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