JJ Rabearivelo, ce romancier francophone malgache.

Le roman L’Aube rouge (no comment éditions, 2020) est l’une des œuvres de Rabearivelo (1903-1937) les moins connues mais certainement l’une des plus intéressantes. Avec ce premier roman, le poète devient un romancier, fort probablement le premier romancier malgache d’expression française.

Le tapuscrit retrouvé après sa mort date de 1925, une trouvaille d’autant plus historique car dans son ouvrage, l’auteur voulait révéler la vérité sur la colonisation de son île. Rappelons d’ailleurs l’important de la vérité « ny marina » dans la culture malgache.

Dans L’Aube rouge, Rabearivelo fait référence à une époque antérieure à la sienne. En effet, plutôt que d’écrire sur la réalité de son époque, il a préféré attirer l’attention sur les circonstances qui ont abouti à la colonisation française à Madagascar. Dès les premières pages de son récit, il nous emmène dans le Palais de Manjakamiadana, habillement traduit par « Palais du Règne-calme ». Il pousse les portes du palais, nous fait voyager dans le temps, il redonne vie à la Reine Ranavalona II ainsi qu’au Premier ministre Rainilaiarivony. Ces derniers s’entretiennent avec des officiers anglais au sujet d’un ultimatum lancé par la France. L’auteur évoquait ainsi les relations diplomatiques qui subsistaient entre le Royaume malgache et celui d’Angleterre. Il s’agit des prémices d’un ouvrage qui tourne autour de la conquête de Madagascar.

En plus de faire référence à cette alliance, Rabearivelo s’emploie également à relater les affrontements jusqu’à la défaite finale. Et c’est avec émotion qu’il met en scène la perte de l’indépendance. Pour cela, il nous transporte encore une fois dans le Palais, mais cette fois-ci pour nous faire ressentir le déchirement d’un peuple dépossédé de sa souveraineté. Par ailleurs, l’auteur revient également sur les débuts de l’acculturation dont Madagascar a fait l’objet. Il procède alors en usant de la critique. En effet, il remet en cause la raison d’être et l’introduction de la religion chrétienne. L’auteur malgache partage ses idées avec subtilité, en faisant interagir une jeune fille malgache avec des officiers français. En effet, dans son roman, Rabearivelo mêle l’histoire et la fiction, mais également l’émotion avec une profonde réflexion. Cela lui permet ainsi d’explorer plusieurs aspects de cette conquête dont Madagascar a fait l’objet.

Ecrire dans la langue française pour revendiquer son identité malgache

D’ordinaire, lorsqu’un auteur malgache contemporain publie un ouvrage dans la langue française, il n’est pas rare que des journalistes malgaches demandent à savoir les raisons pour lesquelles celui-ci ou celle-ci ait opté pour la langue française et non la langue malgache. En plus du fait que chaque auteur est libre de choisir sa langue d’écriture sans devoir se justifier, il apparaît un certain nombre de circonstances qui démontrent que le recours à une langue étrangère -la langue française ou encore la langue anglaise par exemple- est un choix stratégique qui va influencer la carrière de l’auteur et l’audience de son ouvrage.

En effet, écrire dans une langue internationale, c’est avant donner à son livre la chance de toucher un large public. Mais encore, les auteurs qui parviennent à faire paraître leurs ouvrages dans de grandes maisons d’éditions peuvent espérer une plus grande notoriété. Mis à part cela, l’un des principaux avantages qui s’offrent à l’auteur est la possibilité de faire découvrir sa culture au monde.

Dans le cas de L’Aube rouge -un ouvrage inspiré de Batouala de René Maran, Goncourt de 1921-, même si le roman de Rabearivelo a été écrit en français -tout en mêlant langue française et langue malgache- Rabearivelo y décrit des éléments de la culture malgache, notamment l’importance du linceul ou encore la circoncision. Il fait également référence au Hira gasy, notamment au costume des danseuses et à leur chorégraphie. Par conséquent, Rabearivelo est un auteur résolument moderne qui a compris que la langue française pourrait lui servir dans sa revendication identitaire.

En tant que chef de file de la littérature malgache francophone, pour avoir été le poète bilingue que l’on connaît aujourd’hui, Rabearivelo ne s’est pas contenté de faire savoir qu’il maîtrisait la langue française, il avait ainsi confirmé que son identité restait prédominante dans cet amour pour la littérature. Traduit de la nuit et La coupe de cendres étant les recueils de poèmes les plus fréquemment cités.

Grâce à ces publications, il démontrait que la double culture était possible. Pourtant, encore aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver des publications dans lesquelles on essaie de déterminer s’il avait une préférence pour la langue française ou pour sa langue maternelle. Il n’y a pas de réponse à cette question car elle n’a pas lieu d’être. De même que l’on ne saurait poser cette question aux auteurs francophones contemporains qu’ils soient originaires du Continent Africain, de l’Asie, etc. En définitive, même en écrivant en français, Jean-Joseph Rabearivelo rappelait son identité et cela se perçoit notamment dans son roman L’Aube rouge.

« Madagascar dans la littérature française », une chronique littéraire de Jean-Joseph Rabearivelo

JJR avait rédigé un article particulièrement long dans lequel il avait énuméré et commenté ce qui avait été écrit sur Madagascar dans la langue française. Cet article figure dans le second tome des Œuvres Complètes de l’auteur et était probablement destiné à une revue. Dans son analyse, Rabearivelo attirait l’attention sur le fait qu’il y ait des auteurs qui se rapprochaient de la vérité et d’autres qui au contraire s’en éloignaient considérablement. En effet, dans son introduction, il insistait sur la nécessité d’écrire un ouvrage qui préciserait :

« ce qu’est le Malgache en général et le Hova en particulier dans la littérature française […] un pareil essai contribuerait à faire connaître et comprendre cette race d’émigrés indonésiens devenue française moins par la force des armes que par la culture et que par l’attachement. Il contribuerait également à ruiner certaines idées préconçues – et fausses de surcroît – qu’aura suscitées la lecture de livres écrits par des voyageurs trop pressés de pénétrer l’âme insulaire ».

Dans la suite de son article, JJR citait Etienne de Flacourt pour souligner son importance. Pour lui, c’est cet auteur qui « a fait entrer Madagascar dans les lettres françaises ». Dans son texte bien fourni, Rabearivelo réunissait à la fois des œuvres littéraires ainsi que des écrits plus scientifiques qu’il désigne comme étant des « livres d’érudition », il évoquait par exemple Alfred Grandidier.

L’on peut dire que JJR avait regroupé des ouvrages de plusieurs genres confondus dans l’idée de laisser libre court à ses appréciations personnelles. Mais surtout, il faisait remarquer combien il était difficile de cerner une culture : « je dirai que, plus une race est vierge de toutes relations, et plus son âme est accessible ». Il ajoutait également que « tout n’est pas encore dit ; et il faudrait aussi faire cette autre constatation : une âme se décèle et s’ouvre dans son désarroi ; elle se renferme dans son mystère une fois redevenue paisible et laborieuse – telle la chrysalide dans son cocon ». Une explication qui n’en demeure pas moins énigmatique. De même, il concluait sa chronique par cette note : « Etonnerais-je quelqu’un si j’affirmais que les plus beaux livres sur Madagascar ont été écrits par des Anglais ? ».

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En définitive, Rabearivelo donne l’impression de chercher à ouvrir le débat et atteste ainsi de l’intérêt qu’il éprouve vis-à-vis de la question de la représentation de Madagascar dans la littérature étrangère. Autrement dit, il ne voulait pas se limiter à la littérature française. Toujours est-il qu’il était mû par l’envie de rétablir la vérité sur son île, cela l’avait amené à écrire L’Aube rouge, le fameux ouvrage dans lequel il s’exprime sur « le Malgache en général et le Hova en particulier ».

Niry Ravoninahidraibe


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