Critique cinéma | « Tafita » : des gap dans le scénario tuent le fun

            Second film produit par Craft Film Madagascar après « Tiako hitoetra » (2021), « Tafita » (1h30, 2023) réalisé par Kévin Reigns et écrit par Mamy Ranto s’affirme comme une comédie dont le côté fun est compromis par des problèmes scénaristiques.

« Tafita » raconte l’histoire de Mahandry (Mamy Ranto), un modeste jeune homme qui a dû suspendre ses études universitaires et qui travaille en tant que serveur pour subvenir à ses besoins. Un jour, il revoit Alicia (Miranto), son ex-petite amie au lycée. Tombant de nouveau amoureux d’elle, il met en œuvre un plan en vue de la reconquérir. Il se fait passer pour un businessman épanoui, propriétaire d’une luxueuse villa où Émile (Dieu Donné alias Papasona), son père, le gardien, se fait passer pour son majordome tandis que son pote Gilbert joue le rôle de domestique, et ce, durant un soir où le véritable propriétaire a dû s’absenter. L’occasion en or pour Mahandry invitant Alicia de lui en mettre plein la vue et sortir de nouveau avec elle. Une succession d’imprévus au cours de la soirée mettra en péril ce plan à tel point que les mensonges de Mahandry finissent par se retourner contre lui.

D’un point de vue thématique, le film véhicule le propos selon lequel l’amour doit se baser sur l’honnêteté, l’authenticité, et non sur un mensonge. Traiter une idée aussi sérieuse sur le mode de la comédie est un challenge intéressant. Et bien que les tentatives de Mahandry, le protagoniste, de faire en sorte qu’Alicia accompagnée de sa meilleure amie Tsanta ne découvrent le pot au rose, donnent lieu à quelques scènes drôles, le scénario de « Tafita » peine à convaincre.

Peut mieux faire.

Premièrement, au niveau de la caractérisation, les personnages de Mahandry et d’Alicia manquent de profondeur. Il est présenté qu’ils ont eu un flirt au lycée mais à aucun moment du film cette histoire antérieure n’est sérieusement exploitée. Ainsi, on ne sait rien de leur idylle d’antan ni des circonstances de leur rupture. Il s’agit, là, d’un élément d’exposition qui n’apporte rien de significatif à l’intrigue.

 À part cela, une anomalie de motivation donne une dimension mélodramatique au film. La motivation d’Émile, le père de Mahandry qui se fait passer pour son majordome, est assez soutenue par le fait qu’il est divorcé et n’a plus que son fils unique à qui consacrer tout son amour et tout son soutien.  La motivation de Mahandry quant à elle repose uniquement sur le fait qu’il vient de rompre avec sa copine et qu’en revoyant Alicia et succombant totalement sous le charme de celle-ci, il veut à tout prix la pécho.

Aussi fou amoureux soit-il, comment est-ce que ça se fait qu’il ne se rende pas compte de la stupidité de son plan ? Car d’un point de vue pratique, s’il est possible de se faire passer pour un riche homme d’affaires durant un soir et séduire ainsi son crush, à long terme, il est impossible de dissimuler ce simulacre. Voir un personnage principal se donner autant de mal dans l’exécution d’une stratégie prévisiblement vouée à l’échec est pathétique. C’est ainsi que « Tafita » provoque généralement des rictus de consternation plutôt que des fous rires alors que l’affiche affirme explicitement qu’il s’agit d’une comédie. Le contrat avec le spectateur (en l’occurrence, l’auteur de cette critique) n’est donc pas tout à fait honoré.

Et pour couronner le tout, comme pour « Tiako hitoetra », le scénariste pèche de nouveau en utilisant un deux ex machina pour sauver le protagoniste de l’impasse. L’épanouissement financier et sentimental de Mahandry vers la résolution du film bien que conforme au sens du titre (« Tafita » en malgache signifie « Épanoui ») n’émeut pas car il n’est pas le fruit de ses propres efforts.

Côté réalisation, les images sont claires et bien tournées, le son bien soigné. La musique classique employée dans le film est pertinente car elle sert l’intention du cinéaste de montrer le côté bourgeois que Mahandry veut faire croire à Alicia. Il en est ainsi de la chanson « L’amour est un oiseau rebelle », extrait du premier acte de l’opéra « Carmen » (1875) de Georges Bizet. Au-delà de la limitation du coût de tournage, le choix du huis clos trahit l’influence des comédies françaises dont Mamy Ranto aurait pu s’inspirer. On pense notamment à l’excellentissime « Le Dîner des cons » (1998) de Francis Veber dont l’enchainement des gags fonctionne à merveille grâce à un scénario de qualité, élément crucial qui fait défaut chez « Tafita » à causes des problèmes scénaristiques soulevés plus haut.

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Une introduction prometteuse dans l’industrie du cinéma pour l’équipe.

Si « Tiako hitoetra » a été distribué en DVD dès sa sortie , « Tafita » bénéficie d’une projection en salle au CanalOlympia Iarivo depuis août 2023. Dans une interview publiée dans le mensuel culturel malgache « no comment® » (août 2023), Mamy Ranto affirme : « J’aimerais ramener sa valeur au cinéma. Madagascar est assez réputé auprès des étrangers pour son « cinéma de brousse », les films sont projetés dans les écoles, et dans les centres. En revenant dans de vraies salles de cinéma, le film reprend toute sa valeur et son glamour. »

Une intention noble d’autant plus que l’exploitation en salle obscure est nécessaire pour l’instauration d’une industrie cinématographique à Madagascar. Il ajoute : « À part cela, je prévois de plonger dans un tout nouveau genre : ce sera un drame, avec des sujets qui touchent la société. Je ne reste pas figé sur un même sujet, ou un même genre : j’aimerais les explorer tous. » Ce désir d’éclectisme est louable mais requiert une parfaite maitrise des conventions de genre et des principes de l’écriture de scénario, des arcs de progression à prendre en compte.

Aina Randrianatoandro

Critique de cinéma

Un des membres fondateurs et membres du bureau de l’Association des Critiques Cinématographiques de Madagascar (ACCM)

Membre individuel de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI)

Bande annonce TAFITA

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