Tribune | L’art, l’incompris.

« Eto isika dia manandratra ny nofin’izao tontolo izar”, ou “Ici nous portons tous les rêves du monde’ est le titre de l’œuvre de Joël Andrianomearisoa installée au parvis de l’hôtel de ville d’Antananarivo. Dévoilée le 9 octobre 2021, cette structure en métal de 8m de hauteur redonne une nouvelle face au centre-ville d’Antananarivo. Imposante, elle impressionne tout d’abord par sa taille, mais elle intrigue surtout par sa forme. Entre les lignes et les formes géométriques, la phrase éponyme de l’œuvre a été écrit en noir.

Dès son apparition, l’œuvre a fait parler d’elle. Bien entendu, il y a ceux qui l’adoubent, mais nombreux sont ceux qui critiquent le choix de l’œuvre, même parmi les artistes.L’œuvre de Joël Andrianomearisoa est classée par les connaisseurs comme de l’art contemporain. Il nourrit ses travaux par sa formation d’architecte. Il réalise ses œuvres en les signant par la prédominance de la couleur noire. C’est ce qu’il a déjà évoqué dans I have forgoten the night lors de sa participation à la biennale de Venise en 2018 où il occupait le pavillon Madagascar.

Si l’œuvre de Joël Andrianomearisoa suscite autant d’incompréhension envers le grand public, c’est parce que toute création artistique est avant tout un acte individuel. L’artiste crée pour lui, pour assouvir une soif d’exprimer sa passion, son être. Une œuvre d’art est donc pour lui la matérialisation d’une idée, d’une passion et de ce qu’il est, son « ego ». Un artiste n’a pas besoin d’expliquer ou de justifier son œuvre. Tout artiste, dans sa démarche de dévoiler son œuvre prend ainsi le risque de se mettre à nu. Une fois dévoilée, une œuvre ne lui appartient plus. Chacun est libre de l’interpréter, de l’apprécier ou de le nier.

Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que l’art ait vocation à éduquer, du moins, ce n’est pas son objet principal. L’installation au parvis de l’hôtel de ville entre donc dans cette démarche propre à l’artiste d’exprimer son amour à sa ville natale qui le fait rêver. « Ici nous portons les rêves du monde » est donc la matérialisation de ce que l’artiste ressent pour cette ville qui vit dans le contraste, entre le rêve et la réalité, la mondialisation galopante que le submerge de plus en plus et sa volonté de sauvegarder son patrimoine et son histoire vielle de ses 400 ans.

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Cette complexité de la relation entre une œuvre d’art et l’artiste avec son public rend ainsi l’installation de Joël Andrianomearisoa incomprise. Mais ce n’est pas qu’elle est incomprise qu’elle soit dénuée de tout son sens. Elle a eu au moins le mérite d’avoir révélé l’attention des passants à se questionner sur la valeur de l’art dans sa vie quotidienne. Le buzz que l’œuvre à créer confirme que l’éducation à l’art, et à travers l’art, la sensibilité à l’art sont plus que des besoins essentiels pour chaque être humain pour s’épanouir. Mais ce n’est pas non plus en étudiant l’art qu’on devient artiste, ni en collectionnant les œuvres d’art. Et c’est mieux ainsi car le statut d’artiste n’est pas fait pour tout le monde. Par contre, rêver est permis pour tous. Et par sa forme primitive, « Eto isika dia hanandratra ny nofin’izao tontolo izao » pourrait tout simplement être considéré juste comme un écriteau géant qui nous invite à rêver une autre Antananarivo, une ville moderne connectée avec le monde.

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